dimanche 24 novembre 2013

Si

En 1895, l'écrivain britannique Rudyard Kipling reçoit une inspiration.

 If you can keep your head when all about you
Are losing theirs and blaming it on you,
If you can trust yourself when all men doubt you
But make allowance for their doubting too ;

If you can wait and not be tired by waiting
Or being lied about, don’t deal in lies,
Or being hated, don’t give way to hating,
And yet don’t look too good, nor talk too wise ;

If you can dream —and not make dreams your master
If you can think —and not make thoughts your aim
If you can meet Triumph and Disaster
And treat those two impostors just the same;

If you can bear to hear the truth you’ve spoken
Twisted by knaves to make a trap for fools
Or watch the things you gave your life to broken,
And stoop and build’em up with worn-out tools ;

 If you can make one heap of all your winnings
And risk it on one turn of pitch-and-toss,
And lose, and start again at your beginnings
And never breathe a word about your loss ;

If you can force your heart and nerve and sinew
To serve your turn long after they are gone,
And so hold on when there is nothing in you
Except the Will which says to them: “Hold on!”

If you can talk with crowds and keep your virtue,
Or walk with Kings —nor lose the common touch,
If neither foes nor loving friends can hurt you,
If all men count with you, but none too much ;

If you can fill the unforgiving minute,
With sixty seconds’ worth of distance run.
Yours is the Earth and everything that’s in it,
And —which is more— you’ll be a Man, my son!

Voici la traduction, dont la fidélité est souvent discutée mais non l'émotion, qu'en donne André Maurois en 1918.

Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir,
Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir ;

Si tu peux être amant sans être fou d’amour,
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre,
Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour,
Pourtant lutter et te défendre ;

Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des gueux pour exciter des sots,
Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles
Sans mentir toi-même d’un mot ;

Si tu peux rester digne en étant populaire,
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois,
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère,
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ;

Si tu sais méditer, observer et connaître,
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur,
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître,
Penser sans n’être qu’un penseur ;

Si tu peux être dur sans jamais être en rage,
Si tu peux être brave et jamais imprudent,
Si tu sais être bon, si tu sais être sage,
Sans être moral ni pédant ;

 Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front,
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront,

Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tous jamais tes esclaves soumis,
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un homme, mon fils.

Qu'illustre ce poème ?

Pour bien comprendre ce texte aujourd’hui, il faut replacer le poème dans son contexte. Écrit à la fin du XIXe siècle, il célèbre les vertus d’un stoïcisme sous l’ère victorienne britannique où il était noble de retenir ses émotions et de dominer ses passions. Cette société distinguait l’homme fort, intrépide et endurci, de l’homme faible, esclave de ses sentiments.


Ce poème est-il toujours une apologie du stoïcisme, comme il était de rigueur à l'ère victorienne ?
L'adverbe si appelle le conditionnel et rappelle que nous sommes faillibles en quête d'une perfection illusoire mais dont la quête reste salutaire.
Aujourd’hui, l’interprétation de ce poème peut être différente. Il n’est probablement plus question de stoïcisme. Nous sommes des êtres sensibles, nous ressentons le plaisir et la douleur. Il est alors respectable d’exprimer ses émotions et ses peines. Toutefois, le texte appelle au courage de celui qui subit une épreuve. Bien qu’on ne choisisse pas la survenue d’un événement douloureux, d’une infortune ou d’une situation, on choisit comment y réagir au lieu de la subir et de s’apitoyer sur son sort. Même abattu par le destin, l’homme doit se relever pour redevenir souverain de sa vie.